Tarif de l’électricité : les consommateurs paient bien plus que le coût de l’électricité
Communiqué SUD-Énergie
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• Une hausse des tarifs réglementés de vente d’électricité due au rattrapage du bouclier tarifaire
Bruno Le Maire justifie la nouvelle hausse des tarifs de l’électricité au 1er février 2024 par la fin du « quoi qu’il en coûte » et la nécessité de protéger les Finances Publiques. Les Français devraient, à partir d’aujourd’hui, rembourser l’aide publique dont ils auraient bénéficié depuis 2022. La flambée des prix sur le marché européen de l’électricité avait en effet conduit le gouvernement à dépenser abondamment, de l’ordre de 16 milliards d’euros par an, pour limiter la hausse des factures des ménages. Malgré cette aide, les tarifs de l’électricité aux ménages avaient connu
une augmentation de 32% en deux ans. Elle sera de 45% en 3 ans.
Aujourd’hui, l’État demande une redistribution entre consommateurs et Finances publiques au bénéfice de ces dernières. Il s’agit donc pour les Français de rembourser l’avance mise en place par l’État pour le bouclier tarifaire de l’électricité. Ce bouclier n’a pas fait disparaître les effets de la flambée des prix, il ne fait que les lisser dans le temps.
• Des prix de marché et des tarifs réglementés déconnectés des coûts de production
S’il est indéniable que la flambée des prix du marché de l’électricité a coûté très cher aux Finances publiques, peut-on pour autant dire que les aides ont bénéficié aux français ? Clairement, non, puisque depuis le début de la crise en 2021, ils ont systématiquement payé plus que ce que coûte l’électricité en France, malgré les aides publiques. Si, comme le promet régulièrement le chef de l’État, les Français avaient bénéficié du coût de production de l’électricité en France, ils auraient payé bien moins, même sans « aide » de l’Etat.
L’augmentation de 45% en 3 ans subie par les ménages bénéficiant encore d’un tarif réglementé de l’électricité et les quelques 40 milliards d’euros d’aides dépensés par l’Etat ont une cause : la mise en place d’un marché dont le prix ne correspond pas au coût de production. Ce prix correspond au « coût marginal », c’est-à-dire au coût de fonctionnement de la centrale la plus chère en fonctionnement en Europe à chaque instant, très largement déterminé par le prix du gaz. Donc quand celui-ci a flambé à partir de l’été 2021 (reprise post-covid puis guerre en Ukraine), les prix de l’électricité se sont envolés alors même que les coûts de production évoluaient peu. Les coûts de production en France sont en effet essentiellement des coûts fixes, indépendant des couts du gaz ou des autres combustibles. Et la collectivité –consommateurs et contribuables – a dû acheter l’électricité sur les marchés à un prix sans rapport avec son coût.
La vraie question devrait être : pourquoi accepte-t-on de payer collectivement bien plus que le coût – plusieurs dizaines de milliards d’euros annuels – et où passe l’argent ? La réponse est claire : cet argent public est capté par les grands énergéticiens européens qui – à l’exception d’EDF – ont vu leurs bénéfices exploser ces dernières années, ainsi que par les intermédiaires commerciaux et financiers qui ont proliféré depuis la libéralisation du secteur électrique – fournisseurs, traders, courtiers, agrégateurs, opérateurs d’effacement…
Depuis 2016, même les tarifs réglementés par l’Etat se réfèrent non plus au coût de production mais au prix de marché. Le prix de l’électricité – en excluant les coûts de réseau – a ainsi été valorisée à 250 €/MWh en 2022 et 2023, soit plus de 3 fois son coût, obligeant l’État à en prendre en charge environ la moitié via le bouclier tarifaire. Mais même après application de ce bouclier, l’électricité était valorisée à 100 €/MWh en février 2022, 120 €/MWh en 2023 et elle le sera à 140 €/MWh en 2024, alors le coût de production, en incluant les imports-exports, se situe autour de 75 €/MWh. Peut-on dire, dans ces conditions, que ce sont les consommateurs qui ont été aidés ?
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que plus d’un tiers des foyers ne sont pas au tarif réglementé mais ont une « offre de marché » négociée avec leurs fournisseurs, bien plus difficile à suivre et qui a donné lieu à des surfacturations énormes l’an dernier. Ces offres étaient régulièrement 2 à 3 fois au-dessus du bouclier tarifaire (ce qui n’empêchait pas les fournisseurs d’être dédommagés par l’Etat au titre de ce bouclier) et certains ont vu arriver des factures de rattrapage de plusieurs milliers d’euros.
Quant aux entreprises et communes ne bénéficiant plus du tarif réglementé de vente, elles ont vu leur facture multipliée par 3, 4 ou 10. La CLEEE, association regroupant de nombreuses entreprises de toutes tailles, indiquait ainsi que sur une large étude auprès de dizaines de milliers de leurs adhérents, les prix étaient en moyenne, avant aide, de 70 €/MWh en 2021 (correspondant environ aux coûts de production), 110 €/MWh en 2022, 230 €/MWh en 2023 et 170 €/MWh en 2024 … soit encore plus de deux fois le coût. L’Etat n’a pris en charge qu’une petite partie de ces surfacturations.
• Les Français sont-ils réellement mieux lotis que les autres ?
Bruno Le Maire met souvent en avant le fait que les Français sont bien mieux « protégés » que nos voisins européens. D’une part cette protection n’est qu’un jeu de vases communicants entre factures des consommateurs d’électricité et contribuables : elle se fait au détriment des caisses de l’État, et donc du financement de la transition énergétique et d’autres services publics eux aussi indispensables et en grande difficulté – Hôpital, École, Rail, etc. D’autre part, les autres pays européens subissent la flambée des prix pour les mêmes raisons que la France : une Directive européenne qui a imposé la mise en concurrence de l’électricité à tous les États membre – décision acceptée par ces États. Cette décision a provoqué la mise en place d’un marché européen de l’électricité, avec des prix intimement liés au prix du gaz. Si une comparaison doit être faite, c’est pour relever que les coûts de production en France sont plus bas que ceux de nos voisins, donc la différence entre prix européens et coûts y est encore plus grande.
En revanche, la comparaison avec les États-Unis ou le Canada, par exemple, est bien moins flatteuse. Au moment de l’ouverture des marchés, les factures d’électricité en Europe et aux états Unis étaient comparables. Aujourd’hui, des industries européennes se délocalisent au Canada ou aux US pour échapper à des prix de l’électricité trop élevés … alors que les coûts ne le sont pas !
• La réforme des marchés ne règlera pas le problème, au contraire
L’Europe a poussé particulièrement loin la déréglementation de ce bien de première nécessité, si inadapté à la concurrence. Malheureusement, malgré les promesses, la réforme européenne en cours de finalisation, ne protégera pas les consommateurs contre un prix de marché de l’électricité aberrant. Elle acte la prééminence du marché et de la concurrence, la fin annoncée des tarifs réglementés subsistant encore, le recours au privé pour développer le parc de production, la négociation de contrats « de gré à gré » entre consommateurs et producteurs en contradiction
avec l’égalité de traitement requise pour un bien de première nécessité, le maintien de fournisseurs pourtant unanimement considérés par les consommateurs comme inutiles et même nuisibles.
En France, le prix de vente plafonné d’une partie du nucléaire (mécanisme d’ARENH) disparaîtra en 2026 pour être remplacé par un mécanisme bien moins contraignant, basé sur un prix cible. La production hydroélectrique continue à être commercialisée à prix de marché.
Dans la situation actuelle, à la prochaine flambée des cours du gaz, que personne ne peut prédire, les mêmes effets dévastateurs se reproduiront.
Cette nouvelle hausse des prix de l’électricité doit être l’occasion de reposer le débat sur l’organisation de ce secteur essentiel sur le plan social, économique et environnemental. Rien ne nous condamne à supporter ce marché aberrant. Il est tout à fait possible de revenir à des prix réglementés pour tous sur la base des coûts de production.
SUD-Énergie – 22 janvier 2024
Contact : anne.debregeas@gmail.com – 06 83 55 10 47
pour aller plus loin :
Le débat sur France culture avec Anne Debregeas, porte parole de SUD Energie.