Plouf ! Les barrages se tirent…

Jean-Luc PORQUET – LE CANARD ENCHAINÉ – 09.01.2019

publié avec l’autorisation du journal

C’était hier : ils s’en souviennent encore. Dans les années 50, la toute-puissante EDF (dont l’État n’est plus actionnaire aujourd’hui qu’à 83%) poussait les paysans de la vallée du Lot à revendre leurs terres à bas prix. “Ces terres étaient importantes pour ma famille, raconte Jacques Serelys? C’était le seul endroit où l’on pouvait emmener paître les chèvres et les vaches qu’on avait” (Ouest France, 21/8). Mais personne ne résistait à EDF et à son argument de “l’intérêt public” : partout où c’était possible, sur tous les fleuves et les rivières où il restait des emplacements exploitables, le grand électricien national construisait des barrages hydrauliques pour produire de l’électricité propre, renouvelable et pas chère.

Cette frénésie aménageuse nous vaut aujourd’hui – en plus d’une des plus belles chansons du répertoire français (1) – une énorme production d’électricité : 64 TWh (térawattheures), soit autant que 5 réacteurs nucléaires ! Sept fois plus que l’électricité d’origine solaire, trois fois plus que l’électricité venue des éoliennes… pas moins de 68,4% de l’énergie renouvelable produite en France. Et 12% de la production électrique française. C’était trop beau…

Au nom de la sacro-sainte “libre concurrence”, Bruxelles (qui pourtant s’agenouille devant les GAFA) ne cesse de répéter que la France doit briser le monopole d’EDF. Et qu’il faut ouvrir les barrages à la concurrence. Toujours le même dogme : faire entrer “de nouveaux acteurs sur le marché”, comme on dit, fera automatiquement baisser les prix, parole d’eurocrate (coyez Vinci et les autoroutes !). L’État resterait propriétaire des équipements, mais les 433 barrages dont la gestion est concédée (généralement pour soixante-quinze ans) à EDF (et, pour un cinquième d’entre eux, à la Compagnie Nationale du Rhône et à la Société Hydro-Électrique du Midi) passeraient peu à peu à de grandes boites privées, dont les actionnaires pourraient se remplir encore plus les poches. Ces boites s’apprêtent évidemment à se jeter sur les barrages les plus gros, les plus rentables, qui sont depuis longtemps amortis. Le pédégé de Total s’est déjà mis sur les rangs, mais aussi le géant suédois de l’électricité Vattenfall, le canadien Hydro-Québec, etc.

Tout cela va se jouer sous peu : en février dernier, Hulot a envoyé à Bruxelles une lettre proposant l’ouverture à la concurrence des 150 barrages dont la concession arrive à terme d’ici trois ans. Et les eurocrates de se réjouir, de promettre que les nouveaux concessionnaires auront à respecter des cahiers des charges tellement soigné que leur bel argent privé se mettra sagement au service du public. Ce dont doutent fortement les syndicats CGT et SUD-ÉNERGIE, et une députée PS de l’Isère, spécialiste de la question, Marie-Noëlle Battistel (et, à part eux, silence radio).

Et si on n’attendait pas que les élections européennes soient passées pour en parler ?

Jean-Luc PORQUET
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(1) “Gaspard Misère”, par l’injustement oublié Jean-Max Brua.

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