Quand la Direction de la Stratégie d’EDF fait la promotion d’un discours anti-écologie

Tract-mail envoyé aux salarié.es de la R&D d'EDF
Vendredi 28 mars, des milliers de personnes à EDF recevaient un mail de la DSTID (direction de la stratégie à laquelle est rattachée la R&D) les invitant à visionner sur l’intranet de l’entreprise le premier épisode de son nouveau podcast. Pour cette première, Philippe Méchet, directeur de « Parlons Énergies », choisissait d’interviewer Géraldine Woessner à l’occasion de la sortie de son livre. Géraldine Woessner est journaliste et rédactrice en chef au magazine Le Point, et a co-écrit avec Erwan Seznec « Les illusionnistes », dans lequel elle dénonce les « dérives de l’écologie politique ».

Sur le « fond » (lire aussi notre analyse détaillée)

Durant 40 minutes, l’invitée expose sa thèse : les tenant·es de l’écologie politique, sous couvert de défendre le climat, suivraient un « agenda politique » qui se révèle néfaste pour le climat et l’environnement. Leurs vrais objectifs seraient la décroissance et l’anticapitalisme. Prétendant défendre une démarche scientifique et rationnelle tout en la piétinant, elle fait le tri des bon·nes et mauvais·es scientifiques, politiques, associations en les nommant, sans aucune argumentation ni légitimité.

Elle réfute la nécessité de consommer moins de ressources en assimilant l’objectif de décroissance ou de respect des limites planétaires à un comportement « anti-humaniste ». Elle revisite sans vergogne l’histoire du mouvement écologiste, fait selon elle de « déçus de l’échec du Communisme ». Elle balaye dans un même mouvement, au nom de leur caractère irrationnel et anti-scientifique, toute critique contre le nucléaire, les OGM, les PFAS, la croissance ou le développement autoroutier. Tout cela correspond sûrement aux « idées reçues » dont il est question dans le texte introductif.

Finalement, elle se livre aux techniques complotistes qu’elle prétend dénoncer : les militant·es écologistes détourneraient la science, seraient en mesure de manipuler largement les médias, utiliseraient la violence physique notamment envers certain·es scientifiques ou salarié·es de secteurs polluants. Pire : l’écologie politique serait bien plus dangereuse que l’extrême-droite qui serait « sous surveillance politique et médiatique » « alors que l’écologie politique, pas du tout ». Ainsi, prétendant dénoncer un agenda politique caché de l’écologie, elle déroule son propre agenda politique ultra-libéral, au service d’un capitalisme fondé sur une croissance quoi qu’il en coûte.

Sur la forme

Face à ce discours sidérant, Philippe Méchet ne fait qu’acquiescer, abonder, sans jamais mettre en perspective ou chercher la contradiction. Il conclut même en reprenant (mal) le terme d’ « écolo-terroristes », si cher à l’extrême-droite, et en affirmant que c’est « vraiment un excellent bouquin pour les scientifiques ». Avec la séance de dédicaces qui avait été prévue pour l’occasion, il est difficile de croire l’amendement standard qui a été fait sur l’article VEOL : « Les propos tenus par l’invitée n’engagent qu’elle-même et ne reflètent pas les positions d’EDF ni de la DSTID ». Quoiqu’il en soit, cet amendement est largement insuffisant :

Nous demandons à ce que la DSTID clarifie la position d’EDF sur les sujets survolés, en particulier sur la question centrale de la sobriété. EDF considère-t-elle ou non que la sobriété est un levier essentiel et majeur à la protection de la planète ?

Cet entretien a profondément choqué de nombreuses personnes, tant sur la forme que sur le fond. Bien que l’on nous ait présenté un « espace de dialogue et d’ouverture », celui-ci se limite en réalité aux commentaires sous une vidéo unilatérale de 40 minutes, où il est censé être strictement question du contenu. Faut-il perdre du temps à écouter, répondre, « respecter les opinions de chacun(e) », même quand elles sont si contestables, si peu argumentées ? Jusqu’où iront les prochain·es invité·es dans la « controverse » ?

Quant à « l’espace de dialogue », sachez que des commentaires sont supprimés par la modération. Sachez aussi que Géraldine Woessner a accusé de diffamation un mail syndical comme celui-ci, avec en copie Xavier Ursat (chargé de la DSTID). Nous trouvons cela étrange, après avoir visionné une vidéo où plusieurs personnalités scientifiques sont discréditées sans preuves ni qu’elles puissent se défendre, et nous espérons que cela n’est pas une intimidation judiciaire. Nous apportons tout notre soutien et notre solidarité à l’organisation syndicale concernée, ainsi qu’à la personne prise nommément à partie. Il faudrait que les salarié·es « osent s’exprimer », comme elle le dit … mais pas trop ?

 

D’autre part il aurait été pertinent, avant d’inviter celle qui prétend combattre les idéologies par la science, de s’arrêter sur son CV : épinglée à de multiples reprises par le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (1, 2, 3), tentative de rationalisation de la théorie du grand remplacement, …

 

Et maintenant ?

L’énergie est un sujet éminemment politique, et en tant que salarié·es d’EDF, il est important de ne pas se cantonner à la technique, mais de questionner ce qu’il en est fait dans la société. Pour autant, nous regrettons qu’EDF déroule le tapis rouge à de telles opinions allant contre les faits.

Nous demandons la refonte du podcast « Talk », en invitant plusieurs scientifiques à chaque épisode, et en laissant la possibilité aux salarié·es d’EDF de réagir en direct.

 

Nous souhaitions réagir rapidement à cette diffusion – comme d’autres – et à vous donner notre analyse du discours tenu par G. Woessner (à lire ici) mais notre intention est bien de répondre dans la durée, de manière scientifique et contradictoire.

Nous vous donnons donc rendez-vous sur ces sujets au cours des mois qui viennent !