Rencontre avec Eric Coquerel, Président de la Commission des Finances – Contribution SUD-Energie
Recettes de l’Etat :
Ces dernières années, l’Energie, et plus spécifiquement l’électricité, a représenté un énorme coût pour l’Etat, tout en laissant à la charge des consommateurs des factures bien plus élevées que les coûts de production et d’acheminement. La collectivité (contribuables et consommateurs) a donc très largement surpayé son électricité au profit des énergéticiens (producteurs et très nombreux intermédiaires – fournisseurs, traders, courtiers, etc.).
Dans son rapport de mars 2024 sur « Les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l’énergie », la Cour des comptes chiffre les profits de ces derniers à plus de 42 Mds, d’euros pour la seule année 2023 (pour un coût de production de l’ordre de 30 Md d’euros !) et « plus de 30 Mds de marges bénéficiaires nettes répartis entre les acteurs des marchés de gros – producteurs, fournisseurs, négociants et intermédiaires de marché » pour 2023-2023 (cf. P12 du rapport et notre communiqué).
L’utilité des intermédiaires de marché est nulle et même négative pour la collectivité. Les profits excessifs des producteurs sont injustifiables : ils ne sont dus qu’aux hausses de prix du gaz et non à une quelconque innovation. Ils ponctionnent un service public. Ces marges sont en grande partie distribuées sous forme de dividendes (voir les documents financiers de TotalEnergies et Engie par exemple, avec des taux de distribution de 50 et 66% en 2022). Quant aux profits réinvestis, rien n’indique qu’ils le soient dans l’électricité et pas dans l’exploitation pétrolière à l’étranger, par exemple.
Les différentes taxations mises en place – notamment la taxe sur les superprofits et rentes inframarginales – n’ont été que cosmétiques, n’empêchant pas cette fuite massive d’argent public.
Les propositions sur la table pour la suite ne permettront pas d’éviter ce gâchis :
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- La réforme européenne du marché de l’électricité a maintenu cette organisation absurde. La proposition de retour à un système public que nous défendons, a été écartée. Producteurs privés et intermédiaires continueront donc à prospérer et les consommateurs continueront de subir le prix de marché de l’électricité.
- Le Sénat, en conclusion d’une commission d’enquête de 6 mois, préconise essentiellement de baisser la TVA sur l’électricité et de conclure des CFD (contrats publics de long terme basés sur les coûts de production) avec EDF. La baisse de TVA signifierait un transfert de charge des consommateurs vers l’Etat, catastrophique pour le financement des services publics si ce manque à gagner n’était pas compensé. Producteurs privés et intermédiaires seraient épargnés et leur rente sauvegardée.
- Il a été envisagé par le gouvernement (Bruno Le Maire) une taxe fixe sur la capacité de production installée, pour remplacer la rente infra marginale. Cette solution est une fois de plus invraisemblable. Les centrales électriques produisent à des coûts très variables, y compris au sein d’une même filière (certaines produisent à 25 euros/MWh en coût complet, d’autres à 250 et pourtant toutes sont utiles. Et la centrale éolienne en mer de Saint Brieuc a un coût presque trois fois supérieure à celle de Dunkerque). Il faut donc taxer les profits et non la production ou la capacité. Et il faut non seulement taxer les producteurs mais aussi des intermédiaires (dont les fournisseurs), en se mettant d’accord sur le niveau de profit acceptable. Pour nous, ce serait Zéro pour ce secteur public, mais on peut envisager par exemple 3%. Sur les précédentes années, l’Etat aurait ainsi récupéré près de 30 Md d’euros. Il faut garder en tête que la rhétorique selon laquelle il faut des profits pour investir est fausse. l’Etat garantit de toutes façons la rentabilité des installations.
Bien sûr, la solution qui garantirait des économies durables et massives serait un retour à un système public. A titre d’exemple, comme le documente entre autres RTE, entre un coût du capital de 1% et 7%, on double presque le coût du système électrique.
Dépenses :
L’urgence est sûrement de sauver l’Hôpital et l’Education. Mais les investissements dans la transition énergétique sont massifs. Jean Pisany-Ferry et Selma Mafhouz le documentent et le chiffrent à au moins 60 milliards d’euros par an supplémentaires par rapport à aujourd’hui, impossibles à financer sans prélèvements supplémentaires. Ces investissements sont un gage d’économie massive par rapport au recours à l’investissement privé, par exemple dans la production d’électricité ou l’isolation des bâtiments. Et ce n’est pas le moment de se priver de rentrées fiscales.
Pour plus d’info : anne.debregeas@gmail.com – 06 83 55 10 47
Voir également :
- Le dossier complet :
- Proposition pour démarchandiser l’électricité :
(la proposition détaillée a été publiée par l’institut LaBoetie)