Pourquoi EDF veut-il vendre son nucléaire presque au double de son coût de production ?
Dans le cadre des débats sur la réforme du marché européen, E. Macron et sa ministre de la Transition énergétique, A. Pannier-Runacher, prétendent se battre pour maintenir un prix régulé du nucléaire historique afin d’offrir aux consommateurs un prix se rapprochant des coûts de production [1]. Mais au même moment, pour préparer l’extinction de l’ARENH en 2025, EDF commence à vendre le nucléaire historique aux enchères pour une livraison en 2027-2028 en ciblant un prix « un peu en-dessous de 100 €/MWh » [2], auquel s’ajouteront ls coûts commerciaux, la marge des fournisseurs et traders, les prix de la capacité, etc.
Or ces 100 €/MWh ne représentent pas du tout le coût de production du nucléaire historique, évalué en-dessous de 60€/MWh[3], mais bien un prix de marché. Et les contrats entre acteurs privés dit « PPA » (Power Purchase Agreement) poussés par EDF et les instances européennes se fixeront selon la même logique. Contrairement à l’objectif avancé par le gouvernement, aucun consommateur ne bénéficiera donc du coût peu élevé du nucléaire historique ni, plus généralement, d’un tarif basé sur les coûts de production de l’électricité française (en intégrant les coûts et recettes des impôts et exports).
Cette annonce arrive le jour du décès de Marcel Boiteux, économiste et dirigeant emblématique d’EDF, farouche opposant du marché et qui déclarait que « Les tarifs sont faits pour dire les coûts comme les horloges pour dire l’heure ».
Les superprofits d’EDF (marge de 80% minimum) faits sur le dos des consommateurs seront-ils au moins réinvestis dans le renouvellement du parc français, pour la transition énergétique ? Rien n’est moins sûr alors qu’EDF fait près de la moitié de son chiffre d’affaires à l’international et a montré sa capacité à y faire des investissements pour le moins hasardeux.
Chaque semaine nous apporte une nouvelle preuve de la contradiction entre maintien d’un marché et tarification des consommateurs sur la base des coûts de production.Supprimer l’ARENH dans les conditions actuelles ferait peut-être les affaires d’EDF, mais pèserait lourdement sur les consommateurs qui se retrouveraient totalement exposés aux prix de marché, y compris ceux bénéficiant encore de tarifs réglementés de vente, alors que le gouvernement annonce la levée progressive du bouclier tarifaire. Notre seul objectif doit être l’obtention d’un système énergétique 100% public, hors concurrence et basé sur des tarifs réglementés pour tous, seul garant de l’intérêt général.
Sources :
[1] Via des contrats publics de long terme (Contracs For Difference) ou « des pistes qui permettent d’atteindre le même objectif [rapprocher les prix de l’électricité du coût de production] par des instruments relevant de la compétence exclusive des autorités françaises »,
[2] Cf. Marc Benayoun, directeur exécutif d’EDF en charge du pôle client, lors d’une conférence de presse.
[3] Comme le rapportait les Echos le 18/05/2011 (“Loi NOME : décodage”), lors des débats de la commission Champsaur, l’ARENH, qui incluait le coût d’allongement de la durée de vie des centrales nucléaires, avait été évalué entre 37 et 39 €2012/MWh par la Commission Champsaur, soit entre 46 et 49 €2023/MWh. EDF voulait « un prix supérieur à 42 €2012/MWh, seuil à partir duquel il affirme couvrir ses coûts », soit 53 €2023/MWh. Cette estimation est proche de la réévaluation d’août 2022 à 49.5 €2022/MWh pour les 20 TWh de relèvement du volume d’ARENH (soit 54 €2023/MWh)