Contribution SUD-Énergie au dossier lignes d’attac #132
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Janvier 2023
Pour une sobriété collective et partageuse
Contexte : consensus sur l’objectif, dissensus sur les moyens
La gravité de la crise climatique et environnementale fait aujourd’hui consensus, tout comme la nécessité et l’urgence de mesures d’ampleur et d’investissements massifs pour amoindrir ses effets et s’y adapter. Cela passe par la décarbonation de nos modes de production et la baisse de nos consommations énergétiques, évaluée à –40% dans la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) à l’horizon 2050 [1].
Les limites physiques ont été trop longtemps ignorées : les ressources qui s’épuisent et les pollutions qui menacent la biodiversité et la survie de l’humanité imposent des remises en cause radicales de notre relation à l’environnement et de la primauté de la croissance économique. Dans un monde où la rareté devient la règle, deux approches se présentent à nous : répartir équitablement les ressources de manière à sauvegarder les usages essentiels ou laisser un petit nombre les accaparer comme c’est le cas aujourd’hui où les 10 % les plus riches consomment 20 fois plus d’énergie que les 10 % les plus pauvres et les 1% les plus riches émettent plus de CO2 que les 50% les plus pauvres à l’échelle mondiale [2].
De plus en plus d’acteur·trices du monde associatif, académique, politique, économique appellent à cette révolution copernicienne de l’organisation de notre société dans laquelle les indicateurs financiers comme le PIB doivent laisser la préséance aux indicateurs environnementaux et sociaux (comme le bilan carbone, la consommation de ressources, la répartition des richesses). Mais l’urgence à rendre cette pensée majoritaire se fait plus pressante d’année en année.
Qu’en est-il de la population ? Les questions d’acceptabilité sont souvent brandies pour justifier l’inaction. Or le Covid et le confinement ont contribué à faire évoluer nos attentes : ralentir, travailler moins, réfléchir au sens du travail deviennent des exigences de plus en plus prégnantes. Et un mouvement indéniable est enclenché, en particulier dans la jeunesse, qui fait de la question environnementale une priorité absolue, au cœur de son choix de vie.
Il ne s’agit pas de minimiser le besoin de sensibilisation et les réticences d’une partie de la population à ces questions, dans un contexte où nombreux·ses sont celles et ceux pris dans « l’urgence de la fin du mois ». Mais l’exemple de la Convention Citoyenne pour le Climat, parmi d’autres, démontre que si l’on prend le temps du débat et de l’information, les citoyen·nes sont prêt·es pour les nécessaires mesures de rupture.
La sobriété, un enjeu collectif
Deux leviers sont communément distingués pour baisser la consommation énergétique : l’efficacité, qui consiste à recourir à des améliorations technologiques sans impact sur les usages (ex : des frigos plus performants) ; et la sobriété, qui regroupe des solutions d’ordre comportemental ou organisationnel (ex : baisser la température de chauffage).
Après avoir longtemps été caricaturé comme synonyme de régression, le concept de sobriété s’impose désormais dans le vocabulaire de ses plus farouches opposants d’hier. Il s’agit le plus souvent d’un pur affichage visant à faire porter les efforts sur les plus pauvres en préservant les intérêts économiques des plus riches.
La préservation d’une planète habitable implique non seulement de réduire notre consommation d’énergie mais aussi celle de toutes les ressources – eau, métaux, biomasse, etc. L’impact délétère de nos modes de vie sur l’environnement ne se limite pas, en effet, au réchauffement climatique (pollution de l’air, de l’eau, des sols…).
Prise dans cette acception large, la sobriété ne se résume pas à la « chasse au gaspi » et à l’injonction aux efforts individuels. Comme le relève une étude du cabinet Carbone 4 [3], si tou·tes les citoyen·nes avaient un comportement « héroïque », « en réalisant tous les « petits gestes du quotidien » (acheter une gourde, équiper son logement de lampes LED…) et changements de comportement plus ambitieux (manger végétarien, ne plus prendre l’avion, faire systématiquement du covoiturage…), cela ne permettrait de réaliser que 25% de la baisse d’empreinte carbone nécessaire à l’atteinte de l’objectif de 2°C de l’Accord de Paris. »
L’atteinte de ces objectifs multiples et complexes, tout comme l’adaptation aux conséquences déjà inéluctables de nos surconsommations, est avant tout un enjeu collectif qui impose de mobiliser à la fois les leviers comportementaux, organisationnels et technologiques. Mais il convient de s’appuyer en priorité sur des technologies éprouvées et dont l’impact environnemental est faible, dans une démarche « low tech » [4]. La complexification à outrance du système économique et industriel dans lequel nous vivons montre d’ailleurs ses limites en termes de démocratie, de résilience, de réparabilité. Il faut réserver la complexité aux secteurs où elle est essentielle et ne pas négliger les pans de la recherche visant à améliorer nos modes d’organisation, optimiser les procédés existants et leur utilisation.
Dans de nombreux secteurs, des leviers efficaces d’économies sont déjà à notre portée. Citons par exemple l’isolation des logements, la limitation de la vitesse sur routes et autoroutes, la diminution du poids des voitures, le développement des transports collectifs et du fret ferroviaire, le développement de l’alimentation végétale, bio et locale, notamment dans la restauration collective.
Une nécessité : préserver l’essentiel en organisant le partage
Aujourd’hui, ces leviers sont annihilés par des organisations inefficientes renforcées par la doctrine libérale qui érige la concurrence en objectif supérieur, entravant la planification ainsi que le recours aux investissements publics et à une réglementation efficace. Cette doctrine est par nature inadaptée à une économie fortement contrainte par les ressources car elle s’appuie sur une croissance infinie. Elle conduit finalement à une sobriété imposée aux plus pauvres, à l’image de ce que l’on vit aujourd’hui même dans des pays riches comme la France, où l’explosion des prix de l’énergie et des matières premières conduit 27% des ménages à ne pas manger à leur faim [5], 20% des ménages à souffrir du froid [6].
La rareté des ressources impose au contraire d’organiser le partage en partant des besoins et en sécurisant les biens et services essentiels (alimentation, énergie, logement, santé, éducation, etc.), notamment par le développement des services publics. Cette forme de sobriété, que certains décrivent comme une économie du rationnement [7], peut être désirable si elle est organisée collectivement (à la différence du rationnement actuel par les prix). Elle conduira les plus pauvres à vivre mieux et améliorera notre environnement. Mais elle implique nécessairement l’acceptation par les plus riches de la diminution de leurs consommations.
Malheureusement, le gouvernement prend la trajectoire opposée : les services publics sont insuffisamment financés et privatisés les uns après les autres, pénalisant l’accès aux biens essentiels et empêchant la réorganisation de l’économie pour répondre aux défis climatiques. Le dogme du « travailler plus (et donc produire plus) pour gagner plus » perdure, à l’exemple de la réforme annoncée des retraites et de celle de l’assurance-chômage, toujours au détriment des plus fragiles. La croissance et le PIB demeurent la boussole ultime.
Ne nous y trompons pas : les plus puissants ne se verront pas imposer des efforts et une remise en cause de leur mode de vie sans un rapport de force. Cela impliquera aussi de remettre en cause les traités européens qui érigent la concurrence et le marché unique en objectif supérieur.
Références :
[1] https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-12/Futurs-Energetiques-2050-principaux-resultats.pdf
[2] https://wir2022.wid.world/chapter-6/
[3] https://www.carbone4.com/publication-faire-sa-part
[4] Bouix, P. (2014). L’âge des low tech. Seuil.
[5] https://www.ipsos.com/fr-fr/barometre-de-la-pauvrete-ipsos-secours-populaire-2021
[6] https://france.attac.org/IMG/pdf/_132-la_8p-pms354-v2.pdf
[7] https://www.telerama.fr/debats-reportages/face-au-risque-de-penurie-vive-le-rationnement-7012843.php