L’occasion manquée : Quand l’intersyndicale et les sénateurs refusent de mettre les barrages à l’abri d’une mise en concurrence

L’occasion manquée : Quand l’intersyndicale et les sénateurs refusent de mettre les barrages à l’abri d’une mise en concurrence

Poussés par la CGT, la CFDT, la CFE-CGC et FO, les sénateurs ont rejeté, jeudi 14 octobre 2021, une proposition de loi proposée par le groupe écologiste visant, dans son article 1,  à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public. Pourtant, tous disaient partager l’objectif visé par le projet de loi, sur l’urgence d’agir face à une situation de sous-investissement dans la maintenance et le développement des barrages, délétère tant pour la sûreté que pour la transition énergétique. Tous ont fini par admettre que la solution juridique proposée par le projet de loi (quasi-régie) était la seule eurocompatible, donc la plus simple et la plus rapide à mettre en application. Et aucun d’eux n’a proposé de solution alternative malgré les multiples sollicitations. Les raisons avancées par les uns et les autres pour justifier ce refus ne tiennent pas. Nous vous faisons un résumé ci-après.   Nous considérons que les organisations syndicales comme les groupes sénatoriaux qui se sont opposés au projet de loi ont agi contre l’intérêt général, dans un souci de défendre non pas le service public mais le périmètre des entreprises actuelles, EDF, SHEM et CNR. Ils ont repoussé la possibilité de sortir enfin les barrages de la menace de la mise en concurrence, ce pourquoi SUD se bat avec acharnement depuis des années (cf. notre dossier). Cela aurait permis de reprendre les investissements dans ce secteur essentiel et aurait été un point d’appui à la sortie de l’ensemble du système électrique du marché.  

Après des années d’investissement intense, nous avons obtenu un consensus politique et syndical très large pour sortir les barrages de la menace de mise en concurrence, y compris au sein du gouvernement. Celui-ci l’a affirmé comme une ligne rouge du projet Hercule. Pour exemple, Barbara Pompili, lors de son audition à l’Assemblée Nationale du 4 février 2021, déclarait : « si on n’aboutit pas sur Hercule, il va falloir trouver un plan B ».1 Il fait également aujourd’hui consensus que le statu quo n’est pas acceptable, car cette situation d’attente qui entrave les investissements de maintenance comme de développement et que chacun juge délétère tant pour la sûreté du parc que pour la réussite de la transition énergétique. SUD a été moteur dans ce combat (cf. notre site).

Notre analyse converge avec ce qui a été dit et répété par les représentants de la Commission Européenne que nous avons rencontrés, en 2019 et 2021  :  la seule solution compatible avec les textes européens pour écarter rapidement la menace de la mise en concurrence des barrages est la régie ou la quasi-régie, c’est-à-dire le fait de confier l‘exploitation de ces barrages soit directement aux services de l’Etat (régie), soit à une entité 100% publique, EPIC par exemple (quasi-régie). C’est d’ailleurs la solution qu’avait retenue le gouvernement dans Hercule, avec la création de la filiale publique Azur (voir citations de la Commission Européenne ci-dessous).

Le groupe sénatorial Ecologie, Solidarité et Territoires (EST) a présenté une proposition de loi (PPL) visant à créer une quasi-régie hydroélectrique. Mais à notre grand étonnement, malgré le consensus syndical et politique, cette opportunité de mettre enfin les barrages à l’abri de la concurrence a été rejetée, d’abord en audition le 23 septembre par toutes les organisations syndicales d’EDF sauf SUD, puis le 6 octobre en Commission des Affaires Economiques par tous les groupes politiques au Sénat sauf le groupe écologiste. Lors de nos rencontres avec différents groupes politiques du Sénat (PCF, PS, LR), il est apparu clairement que le positionnement des syndicats avait énormément pesé dans leur décision. Nous leur avons apporté tous les arguments possibles en soutien à ce projet (en particulier sur son article 1 concernant l’hydroélectricité), répondant aux différentes critiques. En vain : jeudi dernier, les deux articles de PPL ont été rejetés, sans aucun amendement autre que ceux déposés par les instigateurs de la PPL pour tenter de répondre aux critiques.

Seuls les sénateurs EST et deux sénateurs RDSE (Rassemblement Démocratique et Social Européen) ont voté POUR, 9 sénateurs indépendants se sont abstenus, tous les autres ont voté CONTRE (cf. détail du vote ici). Malgré les demandes répétées des porteurs de la PPL concernant un éventuel Plan B, aucune solution alternative n’a été proposée, malgré l’urgence à sortir les barrages de cette menace de mise en concurrence.

Les arguments avancés par les organisations syndicales et les groupes sénatoriaux pour justifier leur refus nous laissent perplexes :

  • Certains (syndicats, PCF et PS) reprochent au projet de loi de ne pas aller assez loin et de ne pas proposer un retour à une entreprise publique intégrée (et également d’autres critiques que nous détaillons ci-dessous (cf. éléments du dossier). Nous sommes bien sûr d’accord avec la nécessité de sortir du marché de l’énergie et de revenir à un système 100% public, SUD-Energie est né de ce combat et se bat au quotidien dans cet objectif2. Mais dans l’immédiat, la sortie du marché n’est pas une option acceptable pour la majorité politique, qui s’appuie notamment sur une incompatibilité avec les textes européens. Nous ne pouvons que le regretter, et continuer notre travail d’analyse et de mobilisation pour faire changer les choses. Dans cette attente, une victoire sur l’hydroélectricité aurait été un point d’appui et non une entrave à la une sortie définitive du marché de l’électricité.
  • D’autres (LR et LREM) prétendent que cette quasi-régie doit faire l’objet d’une négociation plus globale sur la réorganisation d’EDF et du secteur électrique, initiée il y a trois ans avec le projet Hercule. Mais pourquoi mettre dans la négociation avec l’Union Européenne une partie compatible avec le droit européen, sur laquelle l’Union Européenne n’a rien à dire ? C’est d’autant plus absurde que rien ne dit que ces « négociations globales », qui durent maintenant depuis près de 3 ans, aboutiront un jour.
  •  Tous refusent de toucher aux entreprises existantes – EDF, qui « perdrait » sa branche Hydro, et la CNR et la SHEM qui « disparaîtraient » dans la quasi-régie. Cette logique d’entreprise est contraire à l’intérêt général (cf. argumentaires joints) et contradictoire avec leur objectif affiché d’un service public intégré.
  • Certains évoquent un coût financier de l’opération jugé rédhibitoire, sans proposer de chiffrage et malgré un amendement qui rendrait ce coût nul. L’opération serait pourtant rentable à court terme pour l’Etat et la période est particulièrement propice à un regroupement des trois opérateurs historiques, alors que les concessions de la SHEM et de la CNR arrivent en fin de vie (la prolongation des concessions CNR de 2023 à 2041 n’est toujours pas effective, profitons-en !). Et EDF, qui détient 72% du productible, appartient à près de 85% à l’Etat

Voir nos réponses plus détaillées aux arguments avancés en PJ.

Nous ne pouvons que regretter amèrement cette occasion manquée de mettre rapidement et durablement nos barrages à l’abri d’une menace de mise en concurrence, alors que nous nous battons pour cela avec acharnement depuis 2018. Nous ne pouvons que nous interroger sur les raisons véritables du choix des organisations syndicales représentatives de s’opposer à ce projet : défendent-elles le service public, ses salariés et ses usagers ou le périmètre d’EDF SA, de la CNR et de la SHEM ?

Nous ne comprenons pas non plus le positionnement des groupes sénatoriaux qui prétendent partager l’objectif mais pas le moyen, tout en ne proposant aucune alternative et en s’appuyant sur une argumentation extrêmement contestable. Les enjeux que recouvre la mise à l’abri de ces barrages devraient largement l’empoter sur des calculs politiciens.

Nous appelons l’ensemble des forces politiques à trouver une solution pour mettre un terme rapidement, d’une manière ou d’une autre, à cette incertitude nuisible la sûreté, à la transition énergétique et à la bonne gestion du système électrique.

Nous nous tenons à votre disposition pour tout complément d’information.

Anne Debrégeas & Philippe André
Portes-Paroles de la fédération SUD-Energie
Coordonnateurs du rapport « paroles d’Experts » sur les risques et enjeux de la mise en concurrence des barrages
Tél : 06 83 55 10 47 & 06 51 76 05 10

LES ELEMENTS DU DOSSIER :

LES REPONSES DE SUD AUX CRITIQUES DE LA PPL :

L’AUDITION DE LA COMMISSION ÉCONOMIQUE DU SÉNAT :

LA PPL ET LES TRAVAUX ASSOCIES :

Les débats précédant le vote sont disponibles sur le site du Sénat le matin ici, et après-midi ici.

LES COMPTE-RENDUS DE NOS RENCONTRES AVEC LA COMMISSION EUROPÉENNE :

LES TRACTS SUD DANS L’HYDRAULIQUE SUR CETTE QUESTION :

POUR ALLER PLUS LOIN :