Une baisse des effectifs à EDF… indexée sur le cours de l’électricité !
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Les patrons successifs d’EDF jouent au Monopoly avec l’Entreprise aux dépends des salariés et des usagers. Ils ne paieront pas le prix de leurs prises de risques irresponsables et de leur stratégie erratique et suicidaire, ils seront partis avant d’en subir les conséquences.
La baisse annoncée des effectifs
Il y a quelques mois, la Direction annonçait qu’il n’y avait pas d’autre choix que d’allonger le temps de travail de ses cadres en imposant le Forfait-Jour, car l’entreprise devait faire face à des enjeux industriels majeurs et qu’elle ne pouvait pas embaucher plus qu’elle ne le faisait car elle était « à la limite de ce que nous pouvons faire pour intégrer les nouvelles recrues »[1] (on remarquera au passage que la Direction voulait allonger le temps de travail pour limiter les embauches, reconnaissant implicitement le lien entre durée du travail et niveau d’embauche, alors qu’elle nous explique que la réduction du temps de travail ne crée pas d’emplois …)
On assiste aujourd’hui à une volte-face : alors que l’Entreprise était, paraît-il, limitée dans ses embauches par ses capacités d’intégration des nouvelles recrues, ce qui posait des problèmes pour relever les enjeux industriels, elle décide soudain de baisser les effectifs : -2% en 2016, et des annonces de nouvelles baisses pour les prochaines années de l’ordre de 1,8%. Pourtant, les enjeux industriels sont toujours là et la Direction cherche toujours à augmenter le temps de travail de ses cadres !
Rappelons que c’est ce type de décision de court terme de réduction d’effectif qui, au milieu des années 2000, a conduit à de graves difficultés de renouvellement des compétences dans le nucléaire[2].
Les charges de personnel représentaient 11,9 Mds € en 2013[3]. Quand bien même EDF arriverait à une réduction massive de 10% de ses effectifs, au prix de pertes de compétences durables et pénalisant l’avenir, d’une dégradation importante de la qualité de service, des conditions de travail de ses salariés, voire de la sûreté de ses installations, l’économie réalisée représenterait moins de 1,2 Mds € par an.
De plus, en situation de quasi-monopole comme en France, une baisse des coûts de l’opérateur principal engendré par une baisse de 10% des charges de personnel, se traduirait par une diminution des prix de moins de 1,6% (car les charges de personnel ne représentent que 15.7% du chiffre d’affaire du groupe). Négligeable par rapport à bien d’autres éléments.
A la R&D, après nous avoir affirmé le contraire en novembre, la Direction annonce des baisses de budget (donc principalement d’effectifs) de 4% en 2016, soit plus que la moyenne de l’entreprise, puis entre 1,5 et 2% en 2017 et 2018, soit autour de -7% sur 3 an, en pleine transition énergétique et alors que la Loi donne un objectif d’augmentation de la recherche en énergie ! Ces chiffres ne cessent d’empirer, au gré du cours du marché de l’électricité !
Derrière la fable du « bon père de famille », un pilotage le nez dans le guidon, totalement irresponsable
La Direction justifie cette baisse d’effectif par la nécessité de revenir à un « cash-flow positif » dans les trois ans. Elle justifie cet objectif par une apparente évidence : l’entreprise devrait être gérée en « bon père de famille », c’est-à-dire avoir un solde positif ou nul sur son compte à la fin du mois. Or une entreprise à 85% publique, qui investit sur le long terme, n’est pas un ménage.
Le cash-flow mesure non pas la santé financière à long terme d’une entreprise, mais ses flux de trésorerie, c’est-à-dire les entrées et sorties d’argent dans l’année. Le cash-flow dépend de la Valeur ajoutée de l’entreprise (= chiffre d’affaire – (frais de personnel + achats + impôts + taxe)), mais également en grande partie des investissements et des éventuelles ventes d’actifs de l’année en cours ! Les périodes d’investissement important, comme c’est le cas pour EDF, sont donc souvent des périodes de cash-flow négatif, sans que cela soit signe de mauvaise santé de l’entreprise. Le cash-flow à trois ans est donc un critère d’extrême court-terme. Avec un tel critère, EDF n’aurait jamais construit le parc nucléaire !
Les problèmes de trésorerie peuvent être vitaux pour de petites entreprises qui ont du mal à emprunter, mais pas pour une entreprise comme EDF ! Il faut arrêter de piloter l’Entreprise à la petite semaine !
D’ailleurs, contrairement au discours ambiant, EDF n’est pas surendettée : son ratio d’endettement (endettement / EBITDA) est dans le bas de la fourchette cible. Et par ailleurs, la dernière fois qu’EDF a emprunté auprès des particuliers, à un taux très supportable, elle n’a pas pu répondre à toute la demande !
Les indicateurs financiers sont plutôt bons, en particulier l’EBITDA, qui mesure la valeur ajoutée de l’entreprise.
L’Etat fixe également à l’entreprise l’objectif de « maintenir une rémunération appropriée des actionnaires » : effectivement, EDF verse autour de 60% de ses résultats sous forme de dividendes (ce qui grève au passage directement le cash-flow de plus de 2 Mds €, sur les 4 Mds € de cash-flow négatif). Il s’agit d’un taux de distribution très élevé, en particulier pour une entreprise qui a des besoins forts d’investissement.
En résumé, pour compenser des besoins d’investissement de très long terme, EDF décide de « serrer les boulons », c’est-à-dire de réduire ses achats et surtout ses frais de personnel, sans prendre en compte l’incidence à long terme d’une telle stratégie.
Elle décide aussi de compenser les investissements par les cessions d’actifs, année par année, quitte à se débarrasser d’une partie de RTE pour financer les EPR d’ Hinkley Point en Grande-Bretagne (cf. ci-après).
Le dogme du court terme assumé par JB. Levy
Lors d’une rencontre avec les organisations syndicales de la R&D, JB. Lévy a martelé son désintérêt total pour le temps long. Il a répété plusieurs fois que « ceux qui se donnent le temps perdent, se font doubler, que la concurrence, les clients, l’innovation n’attendent pas ».
Cela est bien inquiétant pour le président d’une entreprise qui investit sur 60 ans et est sensée impulser la transition énergétique !
Le mauvais argument du prix de marché
Comme l’argument des mauvais résultats d’EDF ne tient pas objectivement, la Direction justifie également les baisses d’effectifs par les menaces qui pèsent sur EDF, en particulier la forte baisse des prix de marché.
Celle-ci est indiscutable et fait dire à JB. Lévy que le marché ne permet pas de rémunérer les investissements, qu’il est nécessaire que l’Etat intervienne soit en garantissant un prix de vente de l’électricité sur le long terme (comme en Angleterre ou en France à l’époque du tarif réglementé), soit en subventionnant les installations. Aveu criant de l’échec du marché, au passage, 15 ans après ce qu’on annonçait à l’époque de la libéralisation du secteur de l’électricité !
Mieux vaut tard que jamais. Malheureusement, au lieu d’annoncer clairement que le système ne pourra être sauvé que par cette réglementation de l’Etat, la Direction d’EDF continue à servir un discours laissant croire que l’on intervient sur un « vrai » marché, et que notre seule solution serait de baisser nos coûts (donc nos prix ) pour être « concurrentiels ». Or en France, EDF n’est pas soumis à un marché concurrentiel : si l’Entreprise décidait demain de multiplier ses prix par 10, ou 100, elle perdrait quelques clients, mais comme elle détient 90% des moyens de production en France et que les capacités d’interconnexion avec les autres pays sont limitées, les usagers n’auraient d’autre choix que d’accepter ces hausses (seule la partie en surcapacité est en fait en concurrence). Seule la réglementation – qui n’a rien à voir avec les mécanismes de marché – empêche un tel comportement, en veillant à ce que les prix ne soient pas décorrélés des coûts. Donc si EDF baisse ses coûts, les prix baisseront avec et rien ne sera résolu pour l’Entreprise.
Sans aller jusqu’à de telles extrémités, il faut se rappeler qu’EDF n’est dépendant du marché que pour une faible part : l’Entreprise ne s’approvisionne pas – ou presque – sur le marché pour fournir ses clients (elle produit elle-même) et n’écoule qu’une petite partie (de l’ordre de 15%) de sa production sur le marché. Elle n’est donc pas totalement exposée aux aléas du marché, loin s’en faut.
Il est de la responsabilité d’EDF de faire la transparence sur ses coûts et de se battre pour obtenir une réglementation permettant de garantir leur recouvrement, non de se lancer dans une fuite en avant consistant à réduire ses effectifs, particulièrement dans la Recherche, en hypothéquant l’avenir du service public et de la transition énergétique. D’autant que l’Etat est actionnaire à 85% de l’entreprise !
La vente des parts de RTE et l’accentuation de l’internationalisation de l’Entreprise
En parallèle aux baisses d’effectifs, Les Echos indiquent qu’EDF serait prête à céder 50% de RTE, pour financer entre autres le projet de construction de deux EPR à Hinkley Point en Grande-Bretagne pour 21,7 milliards d'euros (à laquelle s’ajoute la prise de contrôle d'Areva NP, 51 % de 2,7 milliards d'euros, selon la dernière estimation).
EDF s’apprêterait donc à se débarrasser d’une partie de RTE, qui garantit des revenus du fait de sa situation de monopole, pour aller investir massivement dans un nucléaire anglais qui peut s’arrêter à tout moment ! (Nous rappelons par ailleurs que le préambule de la Constitution de 1946 interdit les monopoles privés[4]. Si EDF vendait ses parts dans RTE à des actionnaires privés, un recours juridique pourrait donc être envisagé).
Plus généralement, la Direction insiste d’ailleurs, dans CAP2030, sur sa volonté de se développer en dehors de l’Europe[5], car ce serait là que se situeraient les perspectives de croissance.
Mais aussi les risques ! Et sur cet aspect, aucune analyse, alors que l’Entreprise devrait avoir été échaudée par de précédentes expériences malheureuses, notamment en Amérique du Sud.
Non seulement nous critiquons l’abandon progressif de la mission de service Public en France à la faveur d’un jeu de Monopoly international qui est tout aussi nuisible au service public de l’Energie des pays dans lesquels EDF investit, mais nous dénonçons également une stratégie qui fait courir des risques inutiles à l’Entreprise.
Ce processus, engagé avec la libéralisation du marché de l’électricité, semble aujourd’hui s’accélérer.
Nos dirigeants vont réussir le tour de force d’exposer à de très graves difficultés une entreprise qui jouit d’un monopole sur le transport et la distribution et d’un quasi-monopole sur la production en France ! Au passage, ils auront détérioré le service public de l’électricité et détruit le modèle social avancé dont bénéficiaient les salariés.
Nous revendiquons :
- Une augmentation des effectifs, à la mesure des enjeux de la transition énergétique
- Un recentrage des activités d’EDF sur la France
- La remise en cause du marché de l’électricité et le retour à une énergie 100% publique
- Un développement de la R&D
[1] Interview de Dominique Minière et Christine Goubet-Milhaud dans VivreEDF de Mai 2014, propos repris jusqu’en septembre 2015
[2] « Il y a eu, au milieu des années 2000, une volonté de réduire les effectifs par souci d'économies, estime Jean Tandonnet, l'inspecteur général pour la sûreté chez EDF. Cette politique de réduction des effectifs, révolue depuis 2006, a des conséquences qui se mesurent aujourd'hui dans la problématique de la transmission des compétences. » (http://www.lesechos.fr/28/06/2010/LesEchos/20707-111-ECH_le-renouvellement-des-competences–un-chantier-prioritaire.htm#UGOwU7Fx6Deesckh.99)
[3] Comptes consolidés d’EDF issu de son rapport financier de 2013.
[4] « 9. Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité », voir lien http://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Constitution/Preambule-de-la-Constitution-du-27-octobre-1946
[5] CAP2030 fixe comme objectif de « Multiplier par 5 l’EBITDA du Groupe à l’international hors Europe »