Une loi de transition énergétique soumise au marché
Une loi qui laisse l’Énergie prisonnière du marché
On aurait pu espérer qu’enfin un bilan soit tiré de l’ouverture du secteur énergétique à la concurrence et aux intérêts privés, qu’enfin on constate les dégâts causés par cette ouverture en termes financier, social, environnemental, démocratique. Mais il semble que la puissance des lobbies ne permette pas une telle remise en cause. Les rédacteurs de cette loi, en se soumettant à ce cadre ultralibéral, condamne le pays à l’inefficacité et à la navigation à vue en matière d’Energie.
Changer de référentiel en matière énergétique nécessite des investissements qui appellent une planification à long terme, permettant, à l’issue d’un débat qui doit être démocratique, de se mettre d’accord d’abord sur les objectifs attendus par les citoyens d’une politique énergétique, pour ensuite construire un scénario énergétique – et en particulier électrique –, de le confronter à celui des autres pays (et en particulier des pays de la plaque européenne), et de le mettre en œuvre. Dans le domaine de l’électricité et du gaz, le modèle du monopole public a montré sa capacité à développer des filières (notamment nucléaire, mais également hydraulique), même si le volet démocratique laissait à désirer. L’expérience récente de libéralisation montre au contraire la gabegie liée à la duplication de systèmes d’informations, la des-optimisation d’un système par nature intégré et complexe, la dégradation des conditions sociales, mais aussi l’incapacité du marché à développer de manière harmonieuse de nouvelles filières : chaque acteur essaie d’optimiser ses intérêts qui souvent n’ont rien à voir avec l’intérêt collectif, sans visibilité sur le long terme, au gré des changements de réglementation qui, eux même, tentent de répondre au coup par coup à des comportements opportunistes. Cette désintégration du système a multiplié le nombre d’intermédiaire qui veulent tous maximiser leurs profits sur le dos d’un usager captif (car l’électricité est un bien essentiel). C’est ainsi que la filière photovoltaïque a détruit des milliers d’emplois (14 500 entre 2010 et 2012[2]) alors qu’elle était appelée à se développer, tout comme l’éolien, la production de panneaux solaires a été délocalisée massivement en Chine.
Une illustration du caractère intégré du système électrique : le développement d’éoliennes, qui produisent de l’électricité de manière intermittente, impose d’éventuels renforcements du réseau, mais également la mise en place de stockages et/ou un pilotage de la consommation permettant de consommer plus aux périodes de production de l’éolien et moins aux autres périodes, si l’on veut éviter le développement d’unités capables de démarrer et de s’arrêter facilement (en général des unités thermiques à flamme). Cela ne peut donc pas être une décision d’un acteur isolé. Quant à l’absence de transparence, principal reproche adressé – en grande partie à raison – à l’ancien monopole, elle est bien pire aujourd’hui : rien ne peut être divulgué, pas même les scénarios censés engager les choix collectifs en matière énergétique ; tout devient confidentiel, au nom de la protection des intérêts industriels des différents acteurs.
Non seulement la loi sur la transition énergétique ne revient pas sur cette marchandisation de l’énergie, mais elle continue même à restreindre la sphère publique, notamment en y inscrivant l’ouverture prochaine à la concurrence de 25% des concessions hydrauliques détenues par EDF, en poursuivant la libéralisation du Rail malgré un échec évident, en comptant avant tout sur les moyens privés pour investir dans l’Energie.
La cession au privé et la mise en concurrence de l’électricité hydraulique est particulièrement préjudiciable à l’efficacité du système, puisque l’électricité hydraulique constitue actuellement la seule énergie renouvelable (donc gratuite) stockable[3], donc précieuse pour la régulation du système : son utilisation aux périodes de très haute consommation est au cœur des programmes d’optimisation du système électrique.
Ces privatisations de rentes contribuent à assécher le budget l’Etat, servant de justification à de nouvelles privatisations et plans d’austérité, dans une fuite en avant mortifère. Cela est particulièrement bien illustré actuellement par la situation des autoroutes, pour lesquels l’Etat s’est coincé lui-même par une délégation au privé très coûteuse. L’exemple de l’eau est également très parlant : les études montrent que la délégation au privé de la gestion de l’eau conduit à des prix plus élevés de 25% en moyenne.
Ces mises en concurrence ont été imposées par des Directives Européennes initiées et soutenues par nos Gouvernements et par des lobbies privés, dans un processus hors de tout contrôle démocratique : il est plus que temps de les remettre en cause ou d’y désobéir.
Des moyens publics très largement insuffisants
Au lieu de se tourner vers des moyens privés très incertains et de toutes façons bien plus coûteux au final pour la collectivité, l’Etat pourrait investir directement de l’argent public, à condition de sortir de cette politique d’austérité absurde. Par exemple, l’Etat pourrait financer les travaux de rénovation nécessaires à la réduction de la consommation et se rembourser à long terme sur l’économie d’énergie engendrée : ces travaux sont en effet quasiment toujours rentables sur la durée. Il pourrait même développer une filière publique de la rénovation énergétique. Or la Loi propose la création d’un Service Public de la Performance Energétique, certes positif, mais qui se limite à un rôle de fournisseur d’information et de conseil.
De même, l’Etat pourrait développer une filière photovoltaïque et éolienne, pérenne et avec des débouchés garantis en terme d’emploi.
Une telle implication de la Puissance Publique – intégrant les niveaux de décentralisation nécessaires – faciliterait par ailleurs grandement la reconversion des salariés travaillant dans les filières en décroissance.
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