Rémunérations dans les IEG : réponse à la Cour des Comptes
Une ode au nivellement des salaires vers le bas, dans le plus pur esprit libéral ! Le dernier rapport de la Cour des Comptes épingle EDF pour sa politique de rémunérations « trop généreuse » : en clair, c’est maintenant une faute de traiter « trop bien », c’est à dire mieux que les moyennes des autres entreprises, ses salariés.
Non seulement nous serions « trop payés », nos salaires « progresseraient trop vite », mais nous aurions en plus des « avantages en natures » (dont évidemment le tarif agent), injustifiés. Rien que ça !
Ce rapport pose de nombreuses questions, dont la première est bien sûr : dans quel monde vivons nous, pour que la politique de rémunération d’une entreprise relativement plus généreuse envers ses salariés que les autres, constitue une faute épinglée par une des plus hautes institutions de l’état, officiellement en charge de « s’assurer du bon emploi de l'argent public et d'en informer les citoyens » ?
La réponse à cette première question est connue : dans un monde ultralibéral où le salaire est une charge et le salarié une variable d’ajustement pour l’économie. Car, à suivre la Cour des Comptes, c’est bien la dérive constatée au cours des 30 dernières années qui a vu la part des salaires dans les pays occidentaux passer de 67% du PIB à 57%, creusant les inégalités, qui constituerait une vertu. On sait que ces 10% du PIB qui vont aux actionnaires au lieu d'aller aux salaires viennent alimenter pour une grande part la spéculation. Ce processus n’est pas étranger à la crise actuelle. Qu’à cela ne tienne, la Cour des Compte préconise de continuer dans cette voie !
Dans le même esprit, la Cour des Comptes se félicite de la mise en place d’une « rémunération variable à la performance » et critique une « progression linéaire à l’ancienneté », tout en regrettant que les salaires soient encore insuffisamment individualisés, et « peu en lien avec les performances de l’entreprise ». Rémunérer au « mérite » et accroitre la dépendance du salaire aux « performances » de l’entreprise semble être maintenant la norme, y compris dans la tête des élites du Parti Socialise au pouvoir. Aucune réflexion sur les conséquences de cette approche de la rémunération, pas plus pour les salariés mis en concurrence entre eux et subissant de plein fouet sur leur revenu les « aléas du marché » affectant la performance de leur entreprise, que pour la performance économique globale résultante, pas forcément améliorée par cette norme qui détruit les collectifs de travail en mettent les salariés en compétition… Au passage, que les actionnaires du CAC 40 s’attribuent des hausses de leurs dividendes alors que les bénéfices des entreprises diminuent ne semble pas gêner la Cour des Comptes. Mais c’est là une affaire privée, sans doute …
La progression à l’ancienneté représenterait selon la Cour des Comptes « jusqu’à 22% de la rémunération fixe des agents du groupe, à condition qu’ils aient effectué toute leur carrière au sein de la branche, alors qu’à titre de comparaison, la DARES avait chiffré qu’en 2008 l’ancienneté représentait en moyenne 1,9 % des salaires du secteur privé » La belle affaire ! On sait bien que les salariés du privé font beaucoup plus rarement que les salariés des IEG la totalité de leur carrière dans la même entreprise, et pour cause ! Le statut protège (pour combien de temps encore ?) les salariés des IEG du licenciement économique. Il est sûrement plus difficile de progresser à l’ancienneté lorsqu’on enchaîne les CDD ou bien qu’on est viré à 45 ans !
De même, les salaires à l’embauche et la progression plus rapide à EDF que dans le privé des bas salaires sont critiqués par la Cour des Comptes. Etre recruté 20% au dessus du SMIC et progresser dès la deuxième année serait un privilège honteux par rapport au 43 % des salariés du privé toujours au voisinage d’un SMIC (par ailleurs quasiment bloqué) sept ans plus tard ! On croit rêver devant une telle soumission à la norme que le libéralisme cherche à imposer partout dans le travail : une armée de salariés si possible précaires, payés au SMIC (tant qu’il existe…)
Il est au passage dommage que la Cour des Comptes n’ait pas analysé l’évolution des salaires de nos sous-traitants : elle aurait eu une raison de se féliciter de l’absence d’évolution salariale de ces salariés !
On peut en revanche lui reconnaître un mérite : elle épingle l’évolution du salaire de nos dirigeants. Ceux-ci ne jouent effectivement pas dans la même cour que nous. Ainsi, notre PDG a-t-il vu sa rémunération multipliée par 2,35 entre 2005 et 2010 ! Mais il n’est pas le seul à avoir touché le gros lot. La Cour des Comptes n’a pas trouvé notable l’évolution des 10 plus grosses rémunérations de l’entreprise (qui est pourtant un indicateur du bilan social) : celui-ci a progressé de 328% entre 2002 et 2011 (et de « seulement » 125% sur la période 2006-2011), pour se situer à près de 130 000€ mensuels net (sur 12 mois) ! En parallèle de leurs qualités apparemment exceptionnelles au vu de leur rémunération, le nombre de hauts dirigeants d’EDF SA a aussi sensiblement augmenté en 5 ans : +32,5%.
En fait, ce qui semble surtout chagriner la Cour des Comptes n’est pas tant le niveau de ces salaires, ni même leur évolution, mais surtout l’insuffisante corrélation à la « performance » de nos dirigeants. Mais il est à parier que pour la Cour des Comptes, la « performance » a plus à voir avec le cours de Bourse et le résultat net qu’avec la qualité du service public rendu ou le climat social de l’entreprise…
Les critiques des salaires de nos dirigeants ont en outre bien moins intéressé la presse que les critiques portant sur les « avantages exorbitants » de l’ensemble du personnel.
Des contre-vérités si nombreuses qu’on hésite entre malhonnêteté et incompétence … La Cour de Comptes affirme que le salaire de base (SNB) aurait augmenté plus vite que l’inflation depuis 2005. C’est faux. La « calculette » EDF disponible sur l’intranet montre qu’entre 2008 et 2013, le SNB a augmenté de 4,2% alors que l’inflation augmentait de 7,4% sur la période. Nous n’avons pas les chiffres entre 2005 et 2008, mais nous contestions également sur cette période une évolution du SNB inférieure à l’inflation. Cela signifie, qu’à profil comparable, un jeune embauché gagne moins en 2012 qu’en 2007.
La Cours des Comptes utilise comme indicateur la moyenne des évolutions des salaires individualisés, et constate que celle-ci aurait progressé « entre 2006 et 2010 […] de près de 23,6 % à EDF SA » pour le brut (l’augmentation sur le net étant de l’ordre de 20 %).
Premièrement, cet indicateur ne dit rien sur la dispersion des salaires et de leur évolution, dont on sait qu’elle a notoirement augmenté depuis la privatisation, alors que la dispersion et non pas seulement la moyenne devrait un élément essentiel de toute analyse sérieuse.
Deuxièmement, il semble que cette augmentation inclut des éléments liés au rattrapage de la perte induite par l’adossement de notre régime de retraite au régime général (au passage, rappelons que notre régime n’était pas déficitaire et que cet adossement a donc permis de renflouer en partie le régime général).
Troisièmement, s’il s’agit de mesurer le « coût » d’un agent pour la collectivité – ce qui semble être l’obsession de la Cour des Comptes et autres pourfendeurs du service public, l’évolution de la masse salariale divisée par le nombre d’agents parait un indicateur plus pertinent. Or, celle-ci diminue !
Par ailleurs, pour mener une comparaison pertinente avec le privé, il faudrait prendre en compte la structure de la masse salariale (niveaux de qualification) et son évolution. Or, les salariés des IEG sont en moyenne plus formés que dans le privé – en particulier parce qu’on sous-traite la plupart des travaux non qualifiés, ce qu’on ne peut que regretter – et la tendance est à une augmentation sensible de la part des cadres au détriment des maîtrises et surtout des exécutions.
Les rémunérations et avantages annexes, dont le fameux Tarif Agent : Comme à chaque fois, le tarif agent est au cœur des critiques, largement repris par la presse.
La Cour des Comptes sort des chiffres extrêmement élevés : 381 M€ de « manque à gagner » pour EDF au titre de ce tarif préférentiel, dont la valeur serait en moyenne de 3583€ par agent à ERDF . Pourtant, la facture électrique d’un ménage est en moyenne de 874€ en 2011. Certes, les agents sont davantage chauffés à l’électrique. Ils ont peut-être une plus grande famille, des volets électriques, des piscines chauffées et autres addictions électriques, tout cela grâce à leurs salaires mirobolants, mais quand même ! Il est dommage que la Cour des Comptes ne détaille pas ses hypothèses, ne nous permettant pas de valider ces chiffres. H. Proglio en est conduit à rappeler que cet avantage fait partie intégrante de notre rémunération et du statut, et que bien d’autres entreprises font également bénéficier leurs salariés de ce type d’avantages.
Pour notre part, nous considérons que la transparence doit être faite sur ce tarif agent (le montant moyen de l’avantage qu’il représente et sa distribution en fonction du revenu, du lieu d’habitation, de la composition familiale, etc.), afin de couper court à ces incessantes attaques. Les chiffres dont nous disposons aujourd’hui sur la consommation des agents en regard de la consommation moyenne des ménages sont contradictoires. S’il s’avère que le tarif agent génère effectivement une surconsommation importante, et/ou qu’il est très inégalitaire, nous soutiendrons un remplacement de ce mécanisme par un autre plus équitable entre les salariés des IEG et plus adapté à l’objectif partagé de maîtrise de la consommation. Mais en aucun cas cette évolution ne pourra se traduire par une réduction des revenus moyens des salariés.
La Cour des Comptes regrette également l’ensemble des dispositions plus favorables aux salariés que le droit du travail :
– Des aides au logement jugées importantes, en oubliant que de nombreux salariés sont soumis à des astreintes, rendant nécessaires ces aides. De même, certains se voient contraints à déménager, rendant là encore parfaitement justifiées des aides au logement ;
– Une épargne salariale jugée supérieure à la normale, mais finalement comparable aux grands groupes, comme le rappelle H. Proglio ;
– Des prêts à la consommation, alors « qu’EDF n’a pas vocation à se substituer aux établissements de crédit » : c’est tellement mieux quand les salariés sont conduits au surendettement par des établissements de crédit autonomes !
– Et, comble de l’horreur, des prestations sociales supérieures (ou tout au moins jugées supérieures) au régime commun : retraite (on a pourtant de plus en plus de mal à trouver des avantages à notre système), avantages familiaux, maladie (notre régime s’améliorerait et, grâce au régime supplémentaire, financé à 40% par les salariés, l’optique, les frais dentaires, l’ostéopathie par exemple seraient mieux remboursés : quel scandale !). On sent, à chaque ligne, que ce rapport est guidé par la recherche du progrès social !!
Un objectif : dresser les salariés les uns contre les autres : Non seulement nous serions trop payés – ce qui est pour la Cour des Compte un mal en soi – mais en plus, ce serait sur le dos des usagers et des contribuables.
Précisons d’abord que la part des salaires dans le prix de l’électricité est marginale (de l’ordre de 10% en intégrant la masse salariale de l’ensemble du groupe). S’attaquer au salaire des agents peut, certes, conduire à une augmentation substantielle des dividendes déjà élevés des actionnaires, mais en aucun cas réduire sensiblement la facture des usagers.
En revanche, un moyen simple et efficace de réduire les factures serait de revenir au monopole public.
La Cour des Comptes accuse également les salariés d’EDF de ne pas être égaux aux autres citoyens devant l’impôt, au titre que l’avantage en nature lié au tarif agent serait sous-évalué globalement. La Cour des Comptes affirme, sans l’étayer, que si l’on réévaluait cet avantage à sa valeur réelle, cela conduirait à multiplier par près de 10 les recettes fiscales associées. Or le barème fiscal d’évaluation de cet avantage va de 800 à 1600€ par an pour les salariés ayant le chauffage électrique, en fonction de la composition du foyer, et de 400 à 800 € pour les autres. Comment imaginer un tel facteur multiplicatif, qui conduirait à déclarer des sommes correspondant à des consommations astronomiques, puisque la facture électrique moyenne des ménages est de 874€ par an ?
Combien coûtent ces « largesses » envers les salariés, finalement ?
Hélas, nous ne le saurons pas. Mais pour une masse salariale totale de 11 Mds € environ (3,3 Mds à EDF SA), cela s’élève « au pire » à quelques centaines de millions d’euros. A comparer par exemple avec le coût du capital : fin 2012, la dette du groupe EDF SA s’élevait à 41,6 mds €, au coût moyen de 3.7% , soit 1,5 mds € par an d’intérêt versé par le groupe. Si le taux d’intérêt était baissé de 3,7 à 2%, l’économie serait de 800 millions d’euros, soit bien plus que les économies liées au tarif agent.
De même, nous serions très intéressés par le chiffrage du coût de la libéralisation de la Cour des Comptes. Cela, hélas, ne semble pas l’intéresser.
Haro sur le statut ! Après ce brillant et impartial plaidoyer, une conclusion tout à fait objective et dénuée de dogmatisme s’impose : c’est la faute au Statut bien sûr, trop rigide, trop protecteur ! Ainsi la Cour des Comptes clame-t-elle que « La gestion des ressources humaines d’EDF SA est contrainte par le statut des industries électriques et gazières qui l’enserre dans une grille rigide et renvoie à l’accord de branche pour l’application d’un grand nombre de dispositions »
Laissons donc plus de place à la négociation entreprise par entreprise (elle recommande « que le champ de l’accord d’entreprise soit élargi ») ! Il faudrait avoir l’esprit mal tourné pour craindre des accords régressifs, en particulier pour les petites entreprises de la branche. Ca vous rappelle quelque chose ? L’accord compétitivité emploi peut-être ? On peut au moins reconnaître au Gouvernement une certaine logique, puisque le ministre de l’Economie et des Finances et celui délégué au Budget déclarent en cœur : « nous partageons globalement l’analyse de la Cour sur les rémunérations au sein d’EDF SA ». Tout cela nous prépare de bien belles années, si nous les laissons faire !
La position de SUD Energie sur les rémunérations à EDF SA :
Nous critiquons :
– Des écarts de salaires qui ne cessent de progresser
– Un salaire de base qui progresse moins vite que l’inflation
– Des rémunérations des dirigeants indécentes
– Une politique salariale de plus en plus individualisée et opaque, qui rend tout contrôle difficile, voire impossible
– Une dégradation de notre système de retraites
– Un empilement de mécanismes, par exemple les aides au logement ou le tarif agent, complexe et opaque, qui laissent la place à l’arbitraire et prêtent le flanc à des critiques injustifiées
Nous préconisons
– Une réduction de l’échelle des salaires, en particulier par un remplacement des augmentations en pourcentage du salaire par des augmentations égales pour tous (5% d’augmentation pour un salaire de 6000€, c’est 300€, mais pour un salaire de 1200€, cela ne représente que 60€)
– Une plus grande transparence sur les rémunérations et les aides
– L’intégration de l’intéressement et des primes dans le salaire